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Liste des arrêts de la Cour

 

ARRÊTS DU JOUR


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LES PRINCIPAUX ARRETS de la CEDH

DECEMBRE 2005

 

 

DISCRIMINATION DROIT A L'INSTRUCTION INGERENCE-{P4-2} LIBERTE DE CIRCULATION PREVUE PAR LA LOI-{P4-2} RACE

La discrimination raciale est une forme de discrimination particulièrement odieuse, dont les conséquences funestes exigent des autorités une vigilance particulière et une réaction vigoureuse.

C’est pourquoi celles-ci doivent user de tous les moyens dont elles disposent pour lutter contre le racisme et renforcer de la sorte une conception de la société démocratique où la diversité n’est pas perçue comme une menace mais comme une source d’enrichissement.

TIMICHEV c. RUSSIE

13/12/2005

violation de l’article 2 du Protocole no 4 (liberté de circulation)

violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination)

violation de l’article 2 du Protocole no 1 (droit à l’instruction)

Timichev c. Russie Numéro de requête 55762/00 ; 55974/00   13/12/2005  Violation de P4-2 ; Violation de l'art. 14+P4-2 ; Violation de P1-2 ; 5 000 euros (EUR) pour dommage moral, ainsi que 950 EUR pour frais et dépens- procédure de la Convention Articles 14 ; 41 ; P4-2 ; P1-2 

Pour en savoir plus :

Jurisprudence antérieure :    Linguistique belge (au principal), arrêt du 23 juillet 1968, série A n° 6, pp. 30-32, §§ 3-5 ; Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 89, §§ 91-92, CEDH 1999-III ; Dudgeon c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1981, série A n° 45, § 67 ; Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, arrêt du 7 décembre 1976, série A n° 23, § 52 ; Leyla Sahin c. Turquie [GC], n° 44774/98, § 137, CEDH 2005-... ; Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 145, § 147, CEDH 2005-... ; Raimondo c. Italie, arrêt du 22 février 1994, série A n° 281-A, p. 19, § 39 ; Willis c. Royaume-Uni, n° 36042/97, § 48, CEDH 2002-IV (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

 

Le requérant, Ilias Iakoubovitch Timichev, est un ressortissant russe d’origine tchétchène né en République de Tchétchénie en 1950. Depuis le 15 août 1996, il vit à Naltchik, dans la république russe de Kabardino-Balkarie, où il fut contraint d’émigrer.

 

Selon le requérant, lui et son chauffeur reçurent l’ordre d’arrêter leur véhicule en arrivant au poste de contrôle d’Ouroukh, lequel est situé sur la frontière administrative entre l’Ingouchie et la Kabardino-Balkarie. Des agents de la Division de la sécurité routière de la République de Kabardino-Balkarie refusèrent de laisser entrer l’intéressé sur le territoire en question, au motif que le ministre de l’Intérieur de cette république avait émis un ordre verbal qui en interdisait l’accès à toute personne d’origine tchétchène.

 

Le gouvernement russe allègue que le requérant a tenté de dépasser la file des voitures qui attendaient leur tour au poste de contrôle et qu’il a quitté les lieux lorsqu’on a refusé de lui donner la priorité.

 

L’intéressé saisit la justice pour dénoncer le comportement des agents de police et obtenir réparation du préjudice moral qu’il prétendait avoir subi. Ses demandes furent rejetées, tant en première instance qu’en appel.

 

Il porta sa plainte devant le procureur général de la Fédération de Russie.

 

Le 1er février 2000, il fut informé que, après enquête, le parquet avait ordonné au ministère de l’Intérieur de Kabardino-Balkarie de remédier aux agissements des agents de police, lesquels étaient contraires à l’article 27 de la constitution russe, et de prendre des mesures propres à empêcher la réitération de tels actes illégaux à l’avenir. Le 3 mars 2000, le ministre de l’Intérieur de la république en question indiqua au parquet que pareil ordre ne pouvait recevoir exécution car les tribunaux avaient conclu à l’absence de toute violation en l’espèce. Il communiqua en outre un résumé des conclusions d’une enquête interne selon lequel l’agent qui avait enjoint au requérant de s’arrêter avait reçu l’ordre verbal d’interdire à toute personne d’origine tchétchène voyageant en véhicule privé de pénétrer sur le territoire de la République de Kabardino-Balkarie. Selon ce document, l’ordre en question avait été donné à l’agent mis en cause par l’officier de service, qui disait le tenir lui-même de l’adjoint au directeur de la Division de la sûreté publique du ministère de l’Intérieur.

 

Le 1er septembre 2000, le fils et la fille du requérant, âgés respectivement de neuf et sept ans, se virent refuser l’admission à l’école de Naltchik qu’ils avaient fréquentée de septembre 1998 à mai 2000. Ce refus se fondait sur le fait que l’intéressé n’était pas en mesure de présenter sa carte de migrant, un document délivré par les autorités locales qui attestait de sa résidence à Naltchik et de son statut de « migrant forcé » originaire de Tchétchénie. Le requérant avait en effet dû restituer la pièce en question lorsqu’il avait reçu, le 24 décembre 1999, une indemnisation pour les biens dont il avait été dépossédé en République de Tchétchénie. Le directeur de l’établissement scolaire accepta finalement d’accueillir à titre officieux les enfants de l’intéressé, mais avertit le requérant que ceux-ci seraient immédiatement renvoyés si le service de l’éducation venait à prendre connaissance de cet arrangement.

 

L’intéressé se plaignit en vain du refus d’admission de ses enfants à l’école.

Le requérant se plaint de ne pas avoir été autorisé à entrer sur le territoire de Kabardino-Balkarie en raison de son origine tchétchène. Il dénonce en outre le fait que ses enfants se sont vu refuser l’accès à l’école. Il invoque l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention, l’article 14 de la Convention et l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention.

 

Décision de la Cour

 

Article 2 du Protocole no 4

La Cour observe que la version des faits donnée par l’intéressé a été corroborée par des enquêtes indépendantes menées par les autorités de poursuite et la police. Elle relève que des agents chargés de la police de la circulation au poste de contrôle d’Ouroukh ont empêché le requérant de franchir la frontière administrative séparant les régions d’Ingouchie et de Kabardino-Balkarie. Il y a donc eu ingérence dans la liberté de circulation de l’intéressé sur le territoire russe au sens de l’article 2 § 1 du Protocole no 4 à la Convention.

 

Les investigations effectuées par le parquet et le ministère de l’Intérieur de Kabardino-Balkarie ont établi que l’ingérence en question avait été imposée au requérant sur ordre verbal de l’adjoint au directeur de la Division de la sûreté publique du ministère de l’Intérieur de Kabardino-Balkarie. Il apparaît que l’ordre litigieux n’a pas été émis dans les formes requises et n’a pas été consigné d’une autre manière qui aurait permis à la Cour d’en apprécier le contenu, la portée et le fondement juridique. En tout état de cause, de l’avis du procureur général, l’ordre contesté emportait violation de la liberté de circulation garantie par l’article 27 de la Constitution russe. Estimant que l’ingérence litigieuse n’était pas prévue par la loi, la Cour conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention.

 

Article 14 combiné avec l’article 2 du protocole no 4

 

La Cour relève qu’un haut responsable de la sûreté publique de Kabardino-Balkarie a ordonné aux agents de la police de la circulation de ne pas laisser entrer les « Tchétchènes ». L’origine ethnique ne figurant pas au nombre des mentions portées sur les pièces d’identité russes, l’ordre en question interdisait l’accès au territoire de Kabardino-Balkarie non seulement à toutes les personnes d’origine tchétchène, mais aussi à celles qui étaient seulement perçues comme appartenant à ce groupe ethnique. Il n’a pas été allégué que des membres d’autres ethnies avaient fait l’objet de restrictions analogues. De l’avis de la Cour, la situation dénoncée instituait manifestement une inégalité de traitement en matière de liberté de circulation des personnes en raison de leur origine ethnique. L’application d’un traitement différent à des individus se trouvant dans des situations similaires, sans justification objective et raisonnable, constitue une discrimination qui, lorsqu’elle est fondée sur l’appartenance ethnique réelle ou supposée des individus en question, peut être qualifiée de discrimination raciale. La discrimination raciale est une forme de discrimination particulièrement odieuse, dont les conséquences funestes exigent des autorités une vigilance particulière et une réaction vigoureuse. C’est pourquoi celles-ci doivent user de tous les moyens dont elles disposent pour lutter contre le racisme et renforcer de la sorte une conception de la société démocratique où la diversité n’est pas perçue comme une menace mais comme une source d’enrichissement.

 

Le requérant ayant démontré qu’il y avait eu une différence de traitement, il incombait au gouvernement russe de prouver que celle-ci était légitime. Le Gouvernement n’a pas formulé la moindre explication propre à justifier la différence de traitement existant entre les personnes d’origine tchétchène et les autres quant à l’exercice de la liberté de circulation. En tout état de cause, la Cour considère qu’aucune différence de traitement fondée exclusivement ou dans une mesure déterminante sur l’origine ethnique d’un individu ne peut passer pour objectivement justifiée dans la société démocratique contemporaine fondée sur le principe du respect du pluralisme et la diversité culturelle.

 

La liberté de circulation de l’intéressé ayant fait l’objet d’une ingérence tenant exclusivement à l’origine ethnique de celui-ci, la différence de traitement dénoncée s’analyse en une discrimination raciale au sens de l’article 14 de la Convention. Dès lors, il y a eu violation de cette disposition combinée avec l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention.  

 

Article 2 du Protocole no 1

 

La Cour relève que les enfants du requérant se sont vu refuser l’accès à l’école qu’ils avaient fréquentée pendant les deux dernières années. Le Gouvernement ne conteste pas la thèse de l’intéressé selon laquelle la véritable raison de ce refus résidait dans le fait que la restitution par celui-ci de la carte de migrant dont il était titulaire avait entraîné la déchéance de son droit à être inscrit sur le registre des personnes domiciliées à Naltchik. 

 

Le Gouvernement a confirmé que, selon le système juridique russe, le droit des enfants à l’éducation ne pouvait dépendre du lieu de résidence de leurs parents. Les enfants du requérant ont par conséquent été privés du droit à l’éducation reconnu par le droit interne. Dès lors, il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention.

 

DISCRIMINATION RECOURS EFFECTIF TRAITEMENT DEGRADANT

Les autorités doivent prendre les mesures raisonnables, vu les circonstances, pour recueillir et conserver les éléments de preuve, étudier l’ensemble des moyens concrets de découvrir la vérité et rendre des décisions pleinement motivées, impartiales et objectives, sans omettre des faits douteux révélateurs d’un acte motivé par des considérations de race.

BEKOS ET KOUTROPOULOS c. GRECE

13/12/2005

Violations de l'art. 3 ;

Non-violation de l'art. 14+3 (allégation de traitement raciste) ;

Violation de l'art. 14+3 (absence d'investigations concernant de possibles motifs racistes)

 

Bekos et Koutropoulos c. Grèce Numéro de requête 15250/02 13/12/2005  Violations de l'art. 3 ; Aucune question distincte au regard de l'art. 13 ; Non-violation de l'art. 14+3 (allégation de traitement raciste) ; Violation de l'art. 14+3 (absence d'investigations concernant de possibles motifs racistes) Articles 41 ; 3 ; 13 ; 14+3 Opinions Séparées Le juge Bratza a exprimé une opinion concordante et le juge Casadevall opinion séparée Pour en savoir plus :

Jurisprudence antérieure :    Aksoy c. Turquie, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2278, § 61 ; Assenov et autres c. Bulgarie arrêt du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, p. 3288, § 93 ; Chahal c. Royaume-Uni arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1855, § 79 ; Ilhan c. Turquie [GC], n° 22277/93, § 84, CEDH 2000-VII ; Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A n° 25, pp. 64-65, § 161 ; Labita c. Italie [GC], n° 26772/95, § 131, CEDH 2000-IV ; Natchova et autres c. Bulgarie, nos 43577/98 et 43579/98, § 155, § 157, §§ 158-159, 26 février 2004 ; Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 145, § 161, § 164, 6 juillet 2005 ; Raninen c. Finlande, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, pp. 2821-22, § 55 ; Salman c. Turquie [GC], n° 21986/93, § 100, CEDH 2000-VII ; Selmouni c. France [GC], n° 25803/94, § 95, CEDH 1999-V ; Tekin c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, p. 1517, § 52 ; Willis c. Royaume-Uni, n° 36042/97, § 48, CEDH 2002-IV

 

Dans la nuit du 7 au 8 mai 1998, la police fut appelée pour une tentative de cambriolage d’un kiosque. Le propriétaire déclara avoir trouvé M. Bekos qui tentait de pénétrer par effraction dans le kiosque au moyen d’une barre de fer alors que M. Koutropoulos semblait faire le guet.

 

Les requérants furent arrêtés et conduits au poste de police de Missolonghi. M. Bekos allègue avoir subi des mauvais traitements au moment de son arrestation et lorsqu’il fut conduit dans sa cellule.

 

M. Bekos avance que durant son interrogatoire trois policiers lui donnèrent des coups de poing dans l’estomac et sur le dos, et se relayèrent pour le rouer de coups, le gifler et le frapper. Un policier le frappa avec une barre de fer et menaça de l’agresser sexuellement. M. Koutropoulos déclare que lors de l’interrogatoire un policier (que M. Koutropoulos identifia comme étant M. Tsikrikas) lui aurait matraqué le dos et donné des coups de pied dans le ventre puis serait revenu le frapper à nouveau. Il affirma aussi que les policiers « lui avaient introduit une matraque dans le postérieur puis l’avaient approchée de [son] visage, en [lui] demandant si ça sentait ». Les requérants affirment qu’ils pouvaient s’entendre l’un l’autre crier et qu’ils ont été insultés au sujet de leur origine rom.

 

Le Gouvernement conteste les allégations des requérants selon lesquelles ceux-ci ont été victimes de mauvais traitements ou d’injures raciales durant leur garde à vue.

 

Les intéressés furent détenus jusqu’au matin du 9 mai 1998. M. Bekos fut alors inculpé de tentative de vol et M. Koutropoulos de complicité de tentative de vol. Ils furent finalement condamnés (en novembre 1999) à des peines d’emprisonnement de 30 et 20 jours respectivement, peines qui furent assorties d’un sursis de trois ans.

 

Lorsqu’ils furent libérés, les requérants consultèrent un médecin légiste à Patras. Celui-ci délivra un certificat médical daté du 9 mai 1998, dans lequel il déclara notamment que les intéressés présentaient « des blessures légères provoquées au cours des dernières 24 heures par un lourd instrument contondant (…) ».

 

Le 11 mai 1998, le Greek Helsinki Monitor et le Groupe grec pour le droit des minorités adressèrent au ministère de l’Ordre public une lettre ouverte commune au sujet de l’incident. Ils déclarèrent avoir recueilli quelque 30 déclarations concernant des incidents similaires de mauvais traitements de Roms. Ils demandèrent au ministère de mener promptement une enquête et d’adresser à tous les postes de police du pays des instructions précises et détaillées relatives au traitement des Roms par la police.

 

Le 12 mai 1998, le ministère de l’Ordre public ouvrit une enquête informelle, puis la direction de la police grecque demanda la modification de l’enquête interne en enquête administrative. Le rapport de cette enquête concluait que deux policiers, M. Tsikrikas et M. Avgeris, s’étaient montrés « particulièrement cruels » envers les requérants pendant leur garde à vue. Il était également établi que M. Tsikrikas avait maltraité les requérants en les frappant avec une matraque et/ou en leur donnant des coups de pied dans l’estomac. Le rapport indiquait qu’aucun des policiers n’avait pu expliquer comment les requérants avaient été blessés. Il était donc recommandé de suspendre temporairement M. Tsikrikas et M. Avgeris de leurs fonctions. Toutefois, ni l’un ni l’autre ne furent suspendus.

 

Le 14 juillet 1999, le directeur de la police grecque infligea une amende de 20 000 drachmes (moins de 59 euros) à M. Tsikrikas au motif que celui‑ci n’avait pas « pris les mesures nécessaires pour empêcher ses subordonnés de faire subir des traitements cruels aux détenus ». Le directeur de la police reconnut que les requérants avaient été maltraités. Il déclara que « les détenus avaient été frappés par des fonctionnaires de police pendant leur garde à vue (…) et avaient été blessés ».

 

Le 1er juillet 1998, les requérants et le père du premier d’entre eux déposèrent plainte contre le commandant en chef adjoint du poste de police de Missolonghi et « tous les autres » policiers du poste qui étaient « responsables ».

 

Le 31 août 2000, le procureur de Missolonghi recommanda que trois policiers, MM. Tsikrikas, Kaminatos et Skoutas, fussent poursuivis pour violences physiques au cours d’un interrogatoire.

 

Toutefois, les poursuites contre MM. Kaminatos et Skoutas furent d’abandonnées au motif que leur présence au moment des événements n’était pas établie et M. Tsikrikas fut déclaré non coupable car il n’était pas démontré qu’il eût participé à de quelconques actes de mauvais traitement. Le droit grec ne permettait pas aux requérants, qui s’étaient constitués partie civile au procès, de faire appel de la décision.

 

Invoquant l’article 3, les requérants alléguaient avoir été victimes d’actes de brutalité policière. Ils soutenaient également, sur le terrain des articles 3 et 13 (droit à un recours effectif), que les autorités n’avaient pas mené une enquête adéquate sur l’incident. Sous l’angle de l’article 14, ils alléguaient en outre que les événements en question étaient motivés par des préjugés raciaux.

 

Décision de la Cour

 

Article 3

 

Les allégations relatives aux actes de brutalité policière

La Cour rappelle que lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et que l’on constate qu’il est blessé au moment de sa libération, il incombe à l’Etat de fournir une explication plausible pour l’origine des blessures. Or, en l’espèce, les autorités nationales n’en ont rien fait.

 

La Cour conclut que les graves dommages corporels subis par les requérants aux mains de la police ainsi que les sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité que le traitement dénoncé leur a causés n'ont assurément pas manqué de faire éprouver aux intéressés une souffrance d’une gravité suffisante pour que les actes de la police soient qualifiés de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3. La Cour conclut donc à la violation de cette disposition.

 

L’enquête sur les allégations de mauvais traitements

La Cour note qu’à plusieurs occasions, au cours de l’enquête administrative et de la procédure judiciaire qui s’en est suivie, il a été reconnu que les requérants avaient été victimes de mauvais traitements pendant leur garde à vue. Toutefois, aucun policier n’a été puni pour les mauvais traitements infligés aux intéressés, que ce soit dans le cadre de la procédure pénale ou dans le contexte de la procédure disciplinaire interne menée au sein de la police. M. Tsikrikas s’est vu infliger une amende inférieure à 59 euros, non pas en raison des mauvais traitements qu’il avait lui-même fait subir aux requérants, mais au motif qu’il n’avait pas empêché ses subordonnés d’infliger ces traitements. Ni M. Tsikrikas ni M. Avgeris ne furent suspendus de leurs fonctions, en dépit de la recommandation du rapport de l'enquête administrative. L’enquête semble donc n’avoir produit aucun résultat concret et les griefs des requérants n’ont pas été redressés. Eu égard à l’absence d’enquête effective sur l’allégation crédible des requérants selon laquelle ils ont été victimes de mauvais traitements pendant leur garde à vue, la Cour conclut à la violation de l’article 3.

 

Article 13

La Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief des requérants tiré de l’article 13.

 

Article 14 combiné avec l’article 3

 

Sur le point de savoir si l’Etat est responsable de mauvais traitements fondés sur un comportement discriminatoire

La Cour estime que si la conduite adoptée par les policiers au cours de la garde à vue des requérants appelle de vives critiques, cette conduite ne constitue pas en soi une base suffisante pour conclure que le traitement que la police a infligé aux requérants était motivé par le racisme. La Cour conclut donc à la non-violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 3 concernant l’allégation selon laquelle des attitudes racistes auraient joué un rôle dans le traitement des requérants par la police.

 

Enquête sur l’existence d’un mobile raciste

Cependant, la Cour estime que lorsqu’elles enquêtent sur des incidents violents les autorités de l’Etat ont de surcroît l’obligation de prendre toutes les mesures raisonnables pour découvrir s’il existait une motivation raciste et pour établir si des sentiments de haine ou des préjugés fondés sur l’origine ethnique ont joué un rôle dans les événements. Certes, il est souvent extrêmement difficile dans la pratique de prouver une motivation raciste. Les autorités doivent prendre les mesures raisonnables, vu les circonstances, pour recueillir et conserver les éléments de preuve, étudier l’ensemble des moyens concrets de découvrir la vérité et rendre des décisions pleinement motivées, impartiales et objectives, sans omettre des faits douteux révélateurs d’un acte motivé par des considérations de race.

 

Les autorités qui ont enquêté sur les allégations de mauvais traitements des requérants disposaient des déclarations sous serment de M. Bekos selon lesquelles lui-même et le deuxième requérant avaient été victimes non seulement de graves violences mais aussi d’injures racistes de la part des policiers qui leur avaient infligé les mauvais traitements. En outre, les autorités étaient en possession d’une lettre ouverte commune du Greek Helsinki Monitor et du Groupe grec pour le droit des minorités mentionnant quelque 30 témoignages oraux relatifs à des incidents similaires de mauvais traitements infligés à des membres de la communauté rom. La Cour estime que ces déclarations, considérées à la lumière des rapports d’organisations internationales sur les allégations de discrimination de la police en Grèce à l’égard des Roms et de groupes analogues, y compris de violences physiques et de recours à une force excessive, appelaient une vérification. Pour la Cour, en présence d’éléments indiquant que des représentants de la loi ont proféré des injures racistes en liaison avec des mauvais traitements allégués de personnes détenues appartenant à une minorité ethnique ou autre, il y a lieu de procéder à un examen approfondi de l’ensemble des faits afin de mettre au jour un mobile raciste éventuel.

 

En l’espèce, les autorités disposaient d’informations plausibles selon lesquelles les violences alléguées étaient motivées par le racisme, mais rien n’indique qu’elles aient procédé à un examen de la question. En particulier, elles n’ont rien fait pour vérifier les déclarations de M. Bekos selon lesquelles des injures racistes lui avaient été adressées ou les autres déclarations mentionnées dans la lettre ouverte alléguant des mauvais traitements similaires de Roms, et rien ne semble avoir été entrepris pour vérifier si M. Tsikrikas avait déjà été impliqué dans des incidents analogues ou s’il avait déjà été accusé d’avoir manifesté de l’hostilité envers des Roms. En outre, aucune enquête n’a, semble-t-il, été menée pour rechercher comment les autres policiers du poste de Missolonghi s’acquittaient de leurs fonctions lorsqu’ils avaient affaire à des groupes ethniques minoritaires. Par ailleurs, la Cour relève que, bien que le Greek Helsinki Monitor ait témoigné devant le tribunal dans l’affaire des requérants et que l’éventuel mobile raciste à l’origine de l’incident n’ait donc pas pu échapper à l’attention du tribunal, il apparaît qu’aucune attention particulière n’ait été accordée à cette question.

 

Par conséquent, la Cour conclut à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 3 en ce que les autorités ont manqué à leur obligation de prendre toutes les mesures possibles pour rechercher si un comportement discriminatoire avait pu ou non jouer un rôle dans les événements dénoncés.

 

PROCEDURE PENALE PROCES EQUITABLE

IMPOSSIBILITE D’ASSISTER A L’AUDIENCE DEVANT LA COUR DE CASSATION,

La possibilité pour le requérant d’être informé de la date de l’audience afin de pouvoir y assister et d’y déposer note en délibéré en réponse aux conclusions orales de l’avocat général n’aurait pu avoir aucune incidence sur l’issue du litige

P.D. c. France

20/12/2005

Non-violation de l'art. 6-1

 

P.D. c. France Numéro de requête 54730/00   20/12/2005  Non-violation de l'art. 6-1 Articles 6-1 

Pour en savoir plus :

Jurisprudence antérieure :    Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, §§ 44 et 47, § 51, CEDH 2002-VII ; Fretté c. France, no 36515/97, § 50-51, CEDH 2002-I

 

Le requérant, P.D., qui a exercé la profession de magistrat et est aujourd’hui à la retraite, fit l’objet de poursuites pénales pour tentative d’agression sexuelle avec violence, contrainte, menace ou surprise sur mineur de 15 ans. Le 11 février 1998, il fut reconnu coupable des faits reprochés et condamné à une amende d’environ 1 525 euros (EUR). Il se pourvut en cassation contre l’arrêt ayant confirmé sa condamnation. Le 4 novembre 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant au motif que son mémoire avait été transmis à la Cour en-dehors du délai légal.

 

Le requérant soutenait que l’impossibilité pour lui d’assister à l’audience devant la Cour de cassation, faute d’avoir été informé de sa date, et d’y « faire valoir ses moyens de défense », avait emporté violation de l’article 6 § 1(droit à un procès équitable).

 

La Cour note que la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur le fond de l’affaire, le mémoire du requérant étant irrecevable au regard de l’article 585-1 du code de procédure pénale, faute pour lui d’avoir demandé la prorogation du délai de dépôt qui lui était imparti. Dans ces circonstances, la possibilité pour le requérant d’être informé de la date de l’audience afin de pouvoir y assister et d’y déposer note en délibéré en réponse aux conclusions orales de l’avocat général n’aurait pu avoir aucune incidence sur l’issue du litige devant la Cour de cassation. Dès lors, la Cour conclut à l’unanimité à la non-violation de l’article 6 § 1. (L’arrêt n’existe qu’en français.)

 

PROCEDURE PENALE   PROCES EQUITABLE

 

La Convention ne garantit pas le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers

GUILLEMOT C. FRANCE

20/12/2005

Non-violation de l'art. 6-1

 

Guillemot c. France Numéro de requête 21922/03 20/12/2005 Non-violation de l'art. 6-1 Articles 6-1 ; 29-3

Pour en savoir plus :

Jurisprudence antérieure :   Belziuk c. Pologne, arrêt du 25 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, § 37 ; De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, § 53 ; García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I ; Hauschildt c. Danemark, arrêt du 24 mai 1989, série A no 154, p. 21, § 45 ; Kemmache c. France (no 3), arrêt du 24 novembre 1994, série A no 296-C, p. 88, § 44Perez c. France [GC], no 47287/99, § 70, CEDH 2004-... ; Schenk c. Suisse, arrêt du 12 juillet 1988, série A no 140, p. 29, §§ 45-46 (L’arrêt n’existe qu’en français.)

 

Le 5 décembre 1994, le fils de Magali Guillemot, la requérante et de J.D. décéda à l’âge de deux mois. Selon les expertises établies, l’enfant avait été victime de fractures des membres les trois dernières semaines de sa vie, d’une fracture du crâne environ 15 jours avant sa mort et de contusions cérébrales. La requérante et J.D. furent mis en examen pour des faits de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner sur mineur de 15 ans par ascendants légitimes". La cour d’assises des Hauts de Seine acquitta J.D., mais condamna la requérante à 15 ans de réclusion criminelle. Celle-ci interjeta appel.

 

Devant la cour d’assises de Paris, désignée pour statuer en appel, J.D. fut entendu à plusieurs reprises en tant que témoin et les avocats de la requérante purent l’interroger. La  d’assises d’appel déclara la requérante coupable et la condamna à dix ans de réclusion criminelle. La Cour de cassation rejeta son pourvoi le 15 janvier 2003.

 

Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention  , la requérante dénonçait l’iniquité de la procédure devant la cour d’assises d’appel. Elle se plaignait d’y avoir été présentée seule comme accusé alors qu’elle avait un coaccusé en première instance, et ceci en raison de l’impossibilité légale de faire appel, par quelque partie que ce soit, des arrêts d’acquittement. Elle se plaignait également d’avoir alors été opposée à son ancien coaccusé, devenu, en appel, témoin à charge.

 

La Cour rappelle que la Convention ne garantit pas le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers. En réclamant, au profit du ministère public ou des coaccusés, un droit d’appel des arrêts d’acquittement, la requérante invoque un droit qui n’est pas garanti par la Convention.

 

Par ailleurs, il apparaît en l’espèce que la cour d’assises d’appel s’est prononcée à l’issue d’une procédure contradictoire au cours de laquelle les différents moyens de preuve présentés par chaque partie ont été débattus. La requérante a pu contester les moyens développés par la partie poursuivante et faire valoir toutes les observations et arguments qu’elle a estimé nécessaires.

 

Par conséquent, la Cour estime que le fait que la requérante se soit retrouvée seule accusée devant la cour d’assises d’appel n’a pas, en l’espèce, porté atteinte au droit à un procès équitable. Dès lors, elle conclut à l’unanimité à la non-violation de l’article 6 § 1. Non-violation de l’article 6 § 1

 

RESPECT DE LA VIE FAMILIALE RESPECT DE LA VIE PRIVEE

CONFISCATION DU PASSEPORT DELAI RAISONNABLE INGERENCE-{ART 8} NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE-{ART 8} PREVUE PAR LA LOI-{ART 8} PROCEDURE PENALE PROPORTIONALITE

 

La mesure de confiscation et de non restitution, pendant des années, du passeport du requérant constitue une ingérence dans l’exercice de son droit au respect de la vie privée, dans la mesure où elle a constaté l’existence de liens personnels suffisamment forts qui risquaient d’être gravement affectés par l’application de cette mesure.

 

ILETMIS c. TURQUIE

06/12/2005

Violation de l'art. 6-1

Violation de l'art. 8 ;

 

İletmiş c. Turquie Numéro de requête 29871/96 06/12/2005  Violation de l'art. 6-1 ; Violation de l'art. 8 ; 25 000 EUR pour préjudice moral et matériel et 1 350 EUR pour frais et dépens. procédure de la Convention Articles 6-1 ; 8 ; 29-3 ; 41  Droit en Cause Loi n° 5682 sur le passeport, article 22

Pour en savoir plus :

Jurisprudence antérieure :    Amrollahi c. Danemark, n° 56811/00, § 33, 11 juillet 2002 ; Dalia c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 91, § 52 ; Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, CEDH 2000-VII ; M. c. Italie, n° 12386/86, décision de la Commission of 15 avril 1991, Décisions et rapports (DR) 70, p. 59 ; Moustaquim c. Belgique, arrêt du 18 février 1991, série A n° 193, p. 18, § 36 ; Poiss c. Autriche, arrêt du 23 avril 1987, série A n° 117, p. 108, § 66 (L’arrêt n’existe qu’en français.)-

 

Le requérant, ressortissant, se rendit en Allemagne et s’inscrit à l’université. Il se maria avec une ressortissante turque en 1979 et le couple eut deux enfants, nés en 1981 et 1986, qui furent scolarisés en Allemagne.

 

En 1984, une information judiciaire fut ouverte contre le requérant accusé d’actes contraires aux intérêts nationaux et perpétrés à l’étranger ; il était soupçonné d’être membre de l’Union des étudiants de Turquie et sympathisant du Comité de Kurdistan, d’avoir des relations avec la HEVRA (Organisation européenne des Kurdes de la Turquie révolutionnaire) et d’être l’un des dirigeants de la KOMKAR (Fédération des associations ouvrières de l’Allemagne Fédérale).

 

De passage en Turquie pour rendre visite à sa famille, le requérant fut arrêté le 21 février 1992 et fut placé en garde à vue pendant sept jours. Son passeport fut confisqué. Le 27 février, le requérant fut remis en liberté mais son passeport ne lui fut pas restitué. Suivant l’arrestation du requérant en Turquie, sa famille quitta l’Allemagne pour le rejoindre. Mis en accusation du chef d’activités séparatistes au détriment de l’Etat,  il demanda plusieurs fois à la préfecture que lui soit délivré un passeport. Ces demandes furent rejetées.

 

En l’absence de preuve à sa charge, la cour d’assises acquitta le requérant en 1999. Par la suite, un passeport lui fut délivré et le requérant repartit en Allemagne avec sa famille. Il vit actuellement en Turquie avec son épouse, tandis que leurs enfants, majeurs, vivent en Allemagne.

 

Invoquant l’article 6 § 1, le requérant dénonçait la durée de la procédure pénale dirigée contre lui. En outre, il soutenait que l’interdiction de quitter la Turquie a emporté violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention.

 

La Cour relève que la procédure litigieuse s’est étendue sur environ 15 ans pour un degré de juridiction. Eu égard aux circonstances de l’espèce, elle estime qu’une telle durée est excessive et ne répond pas à l’exigence de « délai raisonnable ». Dès lors, la Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 6 § 1.

 

La Cour considère que la mesure de confiscation et de non restitution, pendant des années, du passeport du requérant constitue une ingérence dans l’exercice de son droit au respect de la vie privée, dans la mesure où elle a constaté l’existence de liens personnels suffisamment forts qui risquaient d’être gravement affectés par l’application de cette mesure. Cette ingérence était prévue par la loi et poursuivait un but légitime.

 

Sur le point de savoir si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », la Cour note que durant les 15 années de procédure, aucune preuve plaidant dans le sens de l’existence d’un danger pour la sécurité nationale, ou d’un risque d’infraction pénale, n’a figuré dans le dossier. Le requérant n’avait d’ailleurs aucun antécédent pénal et fut finalement acquitté. La Cour rappelle enfin la situation personnelle et familiale du requérant lorsqu’il vivait en Allemagne, et prend en considération l’incertitude et le bouleversement que le maintien indéterminé de la mesure litigieuse a pu causer dans sa vie.

 

A une époque où la liberté de circulation, et en particulier la circulation transfrontalière, est considérée comme essentiel pour l’épanouissement de la vie privée, surtout quand il s’agit de personnes, tel le requérant, ayant des liens familiaux, professionnels et économiques ancrés dans plusieurs pays, refuser cette liberté sans aucune motivation constitue, de la part de l’Etat, un manquement grave à ses obligations vis-à-vis de personnes relevant de sa juridiction.

 

Dans ces conditions, le maintien de l’interdiction de quitter le territoire national ne correspondait plus à un « besoin social impérieux » et s’avérait donc disproportionné aux buts poursuivis à l’article 8. Violation de l’article 8.

 

PROCEDURE PENALE

RESPECT DE LA VIE PRIVEE

CONVERSATIONS TELEPHONIQUES   DE DETENUS AVEC LEURS PROCHES ENREGISTREES DANS LES PARLOIRS DES PRISONS

Le droit français n’indique pas avec assez de clarté la possibilité d’ingérence par les autorités dans la vie privée des détenus, ainsi que l’étendue et les modalités d’exercice de leur pouvoir d’appréciation dans ce domaine.

WISSE c. France

20/12/2005 

Violation de l'art. 8

Wisse c. France     Numéro de requête 71611/01 20/12/2005  Exception préliminaire jointe au fond (ratione materiae) ; Violation de l'art. 8 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant Articles 29-3 ; 41 ; 8 Opinions Séparées Droit en Cause Code de procédure pénale, articles 151-152

Pour en savoir plus :

Jurisprudence antérieure :    Doerga c. Pays-Bas, no 50210/99, 27 avril 2004 ; Huvig c. France, arrêt du 24 avril 1990, série A no 176-BKhan c. Royaume-Uni, no35394/97, § 25, ECHR 2000-V ; Kruslin c. France, arrêt du 24 avril 1990, série A no 176-A, § 34 ; Matheron c. France, no 57752/00, 29 mars 2005, § 29 ; Peck c. Royaume-Uni, no 44647/98, § 57, §§ 59 à 62, ECHR 2003-I ; Perry c. Royaume-Uni, no 63737/00, 17 juillet 2003, §§ 41 et 42 ; Van der Graaf c. Pays-Bas (déc), no 8704/03, 1er juin 2004 ; Vetter c. France, no59842/00, 31 mai 2005, § 26 (L’arrêt n’existe qu’en français.)

 

Les  conversations téléphoniques des  requérants - condamnés à 25 et 20 ans de réclusion criminelle à la suite de leur condamnation en 1992 pour vols avec arme et tentative d’homicide volontaire.- avec leurs proches dans les parloirs furent enregistrées entre le mois de novembre 1998 et février 1999.

 

Les requérants demandèrent vainement l’annulation des actes de procédure relatifs aux enregistrements de leurs conversations dans le parloir. La Cour de cassation rejeta leur pourvoi sur ce point.

 

Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), les requérants soutiennent que l’enregistrement de leurs conversations dans les parloirs des prisons constitue une ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale.

 

Selon la Cour, l’enregistrement systématique des conversations dans un parloir à d’autres fins que la sécurité de la détention dénie à la fonction du parloir sa seule raison d’être, celle de maintenir une « vie privée » du détenu - relative - qui englobe l’intimité des propos tenus avec ses proches. Les conversations tenues dans le parloir d’une prison peuvent en conséquence se trouver comprises dans les notions de « vie privée » et de « correspondance ».

 

L’enregistrement et l’utilisation des conversations tenues au parloir par les requérants avec leurs proches s’analysent en une ingérence dans leur vie privée. Cependant, cette ingérence n’était pas prévue par la loi au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. En effet, le droit français n’indique pas avec assez de clarté la possibilité d’ingérence par les autorités dans la vie privée des détenus, ainsi que l’étendue et les modalités d’exercice de leur pouvoir d’appréciation dans ce domaine.

 

Dès lors, la Cour conclut, par 6 voix contre 1, à la violation de l’article 8.

 

 

 

PROCEDURE PENALE TRIBUNAL IMPARTIAL

LIBERTE DE L’AVOCAT GARANTIE DE L'AUTORITE ET L'IMPARTIALITE DU POUVOIR JUDICIAIRE INFORMATION DETAILLEE INFORMATION SUR LA NATURE ET LA CAUSE DE L'ACCUSATION

LIBERTE D'EXPRESSION NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE  D'INNOCENCE  

Même si la conduite d’un avocat  passer pour dénoter un certain irrespect à l’égard des juges de la cour d’assises, dès lors que les commentaires de l’intéressé , bien que discourtois, portaient uniquement sur la manière dont les juges conduisaient l’instance, concernant en particulier le contre-interrogatoire d’un témoin dans le cadre de la défense de son client contre une accusation de meurtre, la peine infligée était d’une gravité disproportionnée et de nature à produire un « effet dissuasif » sur les avocats dans les situations où il s’agit pour eux de défendre leurs clients.

KYPRIANOU c. CHYPRE

GRANDE CHAMBRE

15/12/2005

Violation de l'art. 6-1

Violation de l'art. 10

 

Kyprianou c. Chypre  Numéro de requête 73797/01 15/12/2005  Violation de l'art. 6-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-2 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-3-a ; Exception préliminaire en ce qui concerne l'art. 10 rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Violation de l'art. 10 ; 15 000 euros (EUR) pour dommage moral, ainsi que 35 000 EUR pour frais et dépens. - procédures nationale et de la Convention Articles 6-1 ; 6-2 ; 6-3-a ; 10-1 ; 10-2 ; 41 Opinions Séparées Les juges Bratza et Pellonpää ont exprimé une opinion concordante, le juge Zupančič une opinion concordante, les juges Garlicki et Maruste une opinion concordante et le juge Costa une opinion partiellement dissidente Droit en Cause Constitution, articles 12, 30, 113 et 162 ; Loi de 1960 sur les juridictions, articles 25 et 44 ; Code de procédure pénale, articles 145-146 et 174 ; Loi sur les avocats, articles 15 et 17 ; Loi sur les prisons, article 9

Pour en savoir plus :

Jurisprudence antérieure :    Amihalachioaie c. Moldova, no 60115/00, § 27, CEDH 2004-III ; ; Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, pp. 3298-3299, §§ 146-150 ; Barfod c. Danemark, arrêt du 22 février 1989, série A no 149 ; Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Bladet Troms? et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 58, CEDH 1999-III ; Brincat c. Italie, arrêt du 26 novembre 1992, série A no 249-A, pp. 11-12, §§ 20-22 ; Buscemi c. Italie, no 29569/95, § 67 et § 68, CEDH 1999-VI ; Castillo Algar c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3116, § 45 ; Ceylan c. Turquie [GC], no 23556/94, § 37, CEDH 1999-IV ; Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 70, CEDH 2004-VI ; Cumpana et Mazare c. Roumanie [GC], no 33348/96, § 85 et § 88, CEDH 2004-XI ; Daktaras c. Lituanie, no 42095/98, §§ 35-38, CEDH 2000-X ; De Cubber c. Belgique, arrêt du 26 octobre 1984, série A no 86, § 25, et p. 14, § 33 ; De Haan c. Pays-Bas, arrêt du 26 août 1997, Recueil 1997-IV, p. 1379, §§ 52-55 ; Demicoli c. Malte, arrêt du 27 août 1991, série A no 210, p. 18-19, §§ 41-42 ; Engel et autres c. Pays-Bas, arrêt du 8 juin 1976, série A no 22, pp. 34-35, §§ 82-83 ; Ferrantelli et Santangelo c. Italie, arrêt du 7 août 1996, Recueil 1996-III, pp. 951-952, § 58 ; Fey c. Autriche du 24 février 1993, série A no 255-A, p. 12, § 30 ; Findlay c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, p. 263, §§ 78-79 ; Grieves c. Royaume-Uni [GC], no 57067/00, § 69, CEDH 2003-XIII ; Hauschildt c. Danemark, arrêt du 24 mai 1989, série A no 154, p. 21, § 47 ; Holm c. Suède, arrêt du 25 novembre 1993, série A no 279-A, p. 14, § 30 ; Huber c. Suisse, arrêt du 23 octobre 1990, série A no 188, pp. 17-18, §§ 41-43 ; Lavents c. Lettonie, no 58442/00, §§ 118-119, 28 novembre 2002 ; Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, arrêt du 23 juin 1981, série A no 43, p. 25, § 58 ; Lešník c. Slovaquie, Sources Externes Principes de base relatifs au rôle du barreau (adoptés en 1990 par les Nations unies) ; Recommandation (2000) 21 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe (L’arrêt existe en français et en anglais.)

 

Dans son arrêt de chambre du 27 janvier 2004, la Cour   a dit, à l’unanimité, qu’il y avait eu violation de l’article 6 §§ 1, 2 et 3 a), et qu’il n’y avait pas lieu d’examiner le grief du requérant sur le terrain de l’article 10. La Cour a alloué à l’intéressé 15 000 EUR pour dommage moral et 10 000 EUR pour frais et dépens.

 

Le 19 avril 2004, le gouvernement chypriote a demandé à ce que l’affaire soit renvoyée à la Grande Chambre, et le collège de la Grande Chambre a accepté la demande le 14 juin 2004.

 

Le requérant se plaignait sous l’angle de l’article 6 § 1 de n’avoir pas été jugé par un tribunal indépendant et impartial, car c’est la même juridiction qui a estimé qu’il s’était rendu coupable de contempt of court et qui l’a jugé et sanctionné. L’intéressé invoquait également les articles 6 § 2 (droit à la présomption d’innocence), 6 § 3 a) (droit à être informé en détail de la nature et de la cause de l’accusation à son encontre) et 10.

 

Michalakis Kyprianou, avocat de profession a défendu devant la cour d’assises de Limassol un homme accusé de meurtre. Pendant le procès, le requérant s’indigna d’avoir été interrompu alors qu’il menait le contre-interrogatoire d’un témoin à charge, demanda l’autorisation de se retirer et ne l’obtenant pas, prétendit que des membres de la cour se parlaient et s’envoyaient des notes (« ravasakia », terme pouvant signifier notamment « lettres d’amour ou billets doux » ou « brefs messages écrits ayant normalement un contenu déplaisant »).

 

Les juges dirent avoir été « profondément insultés » en tant que « personnes ». Ils ajoutèrent ne pouvoir « imaginer aucune situation susceptible de constituer un contempt of court (« outrage à la cour ») aussi flagrant et inadmissible de la part de quiconque, encore moins d’un avocat » et que « si la réaction de la cour n’est pas immédiate et radicale la justice aura subi un revers désastreux ». Ils donnèrent au requérant le choix, soit de maintenir ses propos et de donner des raisons pouvant amener à ne pas lui infliger de peine, soit de se rétracter. Le requérant ne fit ni l’un ni l’autre.

La cour estima que M. Kyprianou s’était de ce fait rendu coupable de contempt of court et le condamna à cinq jours d’emprisonnement, appliquée immédiatement, qu’ils jugèrent être la « seule réponse adéquate », « une réaction insuffisante de la part de l’ordre juridique et civilisé tel qu’incarné par les tribunaux signifierait que ceux-ci acceptent que l’on porte atteinte à leur autorité ».

 

Le requérant purgea la peine de prison immédiatement, mais fut libéré avant le terme de sa peine en application de la législation pertinente. Son recours fut rejeté par la Cour suprême le 2 avril 2001.

 

Décision de la Cour

 

Article 6 § 1

 

La Cour examine d’abord l’allégation du requérant selon laquelle, dans les circonstances particulières de l’affaire, le fait qu’il ait été jugé, déclaré coupable et condamné par les magistrats mêmes qui composaient le tribunal à l’égard duquel il était accusé d’avoir commis un contempt soulève des doutes objectivement justifiés quant à l’impartialité de ces juges.

 

La Cour observe que ce grief se rapporte à un défaut fonctionnel de la procédure en question. A cet égard, elle prend note de la tendance croissante, dans un certain nombre de systèmes de common law, à reconnaître la nécessité de ne recourir aux procédures sommaires qu’avec parcimonie, après un délai de réflexion, et d’offrir des garanties appropriés. Toutefois, la Cour n’estime ni indispensable ni souhaitable de procéder à un contrôle général du droit en matière de contempt et de la pratique des procédures sommaires à Chypre et dans d’autres systèmes de common law. Sa tâche en l’espèce consiste à rechercher si le recours à une telle procédure à l’encontre de M. Kyprianou devant le tribunal a emporté violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

 

La présente espèce concerne un cas de contempt commis devant les juges et dirigé contre eux personnellement. Directement visés par les critiques du requérant, qui portaient sur la manière dont ils conduisaient l’instance, ceux-ci ont alors eux-mêmes pris la décision d’engager des poursuites, examiné les questions soulevées par la conduite du requérant, jugé l’intéressé coupable et infligé la sanction, en l’occurrence une peine d’emprisonnement. En pareil cas, la confusion des rôles entre plaignant, témoin, procureur et juge peut à l’évidence susciter des craintes objectivement justifiées quant à la conformité de la procédure au principe établi en vertu duquel nul ne peut être juge en sa propre cause et, en conséquence, quant à l’impartialité du tribunal.

 

Eu égard aux faits de la cause et au défaut fonctionnel constaté par elle, la Cour estime que l’impartialité de la cour d’assises pouvait sembler sujette à caution. Les craintes du requérant sur ce point peuvent dont passer pour avoir été objectivement justifiées.

 

La Cour examine ensuite l’allégation du requérant selon laquelle les juges concernés ont fait preuve de partialité personnelle.

 

La Cour observe que les juges, dans leur décision condamnant le requérant, ont déclaré qu’ils avaient été « profondément insultés » en tant que « personnes ». Cette déclaration montre en soi que les juges se sont sentis personnellement agressés par les propos et la conduite du requérant et indique une implication personnelle de leur part. De surcroît les termes vigoureux utilisés par les juges tout au long de leur décision laissent transparaître un sentiment d’indignation et de choc, très éloigné de l’approche détachée que l’on attend des décisions judiciaires. Les juges ont ensuite infligé à l’intéressé une peine de cinq jours d’emprisonnement, appliquée immédiatement, qu’ils ont qualifiée de « seule réponse adéquate ». Les juges ont en outre indiqué dès le début de leur discussion avec le requérant qu’ils le considéraient comme coupable de l’infraction pénale de contempt of court. Après avoir décidé que M. Kyprianou avait commis cette infraction, ils lui ont donné le choix soit de maintenir ce qu’il avait dit et donner des motifs justifiant qu’aucune sanction ne lui soit infligée, soit de se rétracter.

 

Si la Cour ne doute pas que la préoccupation première des magistrats ait été la protection de l’administration de la justice et de l’intégrité de l’appareil judiciaire, et qu’à cette fin ils aient jugé approprié d’engager la procédure sommaire, elle estime qu’ils n’ont pas réussi à considérer la situation avec le détachement nécessaire. Cette conclusion est renforcée par la célérité avec laquelle la procédure a été menée et par la brièveté des échanges ayant eu lieu entre les juges et M. Kyprianou.

 

Dès lors, eu égard en particulier aux différents aspects combinés de l’attitude personnelle des juges, la Cour estime que les doutes de M. Kyprianou quant à l’impartialité de la cour d’assises de Limassol se justifiaient également sous cet angle.

 

Enfin, la Cour considère que la Cour suprême n’a pas réparé le défaut en question. Il est clair que celle-ci avait la faculté d’annuler la décision de la cour d’assises de Limassol au motif que celle-ci n’avait pas été impartiale. Or elle se refusa à le faire et confirma le verdict et la peine. Elle ne remédia donc pas aux déficiences litigieuses.

 

La Cour conclut que la cour d’assises de Limassol n’était pas un tribunal impartial au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

 

Article 6 § 2 et 3 (a)

 

La Cour estime qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de ces dispositions.

 

Article 10

 

La Cour estime que dans les circonstances de l’espèce le grief du requérant doit faire l’objet d’un examen séparé sous l’angle de l’article 10. Elle doit rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre, d’une part, la nécessité de garantir l’autorité du pouvoir judiciaire et, d’autre part, la protection de la liberté d’expression du requérant en sa qualité d’avocat.

 

La cour d’assises de Limassol condamna le requérant à cinq jours d’emprisonnement. Force est de constater qu’il s’agit là d’une peine sévère, compte tenu particulièrement du fait qu’elle fut appliquée immédiatement. Cette peine fut ultérieurement confirmée par la Cour suprême.

 

La conduite du requérant peut certes passer pour dénoter un certain irrespect à l’égard des juges de la cour d’assises. Néanmoins, bien que discourtois, les commentaires de l’intéressé portaient uniquement sur la manière dont les juges conduisaient l’instance, concernant en particulier le contre-interrogatoire d’un témoin que M. Kyprianou était en train de mener dans le cadre de la défense de son client contre une accusation de meurtre.

 

Dès lors la Cour estime que la peine infligée était d’une gravité disproportionnée et de nature à produire un « effet dissuasif » sur les avocats dans les situations où il s’agit pour eux de défendre leurs clients. Le manque d’équité de la procédure sommaire de contempt constatée par la Cour ne fait qu’aggraver ce manque de proportionnalité.

 

Partant, la Cour estime que la cour d’assises n’a pas ménagé un juste équilibre entre la nécessité de garantir l’autorité du pouvoir judiciaire et celle de protéger la liberté d’expression du requérant. Le fait que l’intéressé n’ait purgé qu’une partie de sa peine d’emprisonnement ne modifie en rien cette conclusion.

 

La Cour conclut donc à la violation de l’article 10 de la Convention en raison du caractère disproportionné de la peine infligée au requérant.

 

 

 

LIBERTE D'EXPRESSION

 

NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE

PROPORTIONALITE PROTECTION DE LA REPUTATION D'AUTRUI-{ART 10}

 

La question des « sectes » ou « mouvements sectaires » est largement débattue dans les sociétés européennes. Elle concerne à l’évidence un problème d’intérêt général qui, de fait, appelle une interprétation étroite.

 

Les associations s’exposent à un contrôle minutieux lorsqu’elles descendent dans l’arène du débat public .

Dès lors qu’elles sont actives dans le domaine public, elles doivent faire preuve d’un plus grand degré de tolérance à l’égard des critiques formulées par des opposants au sujet de leurs objectifs et des moyens mis en œuvre dans le débat.

PATUREL C. FRANCE 

22/12/2005 

Violation de l'art. 10 ;

 

Paturel c. France  Numéro de requête 54968/00   22/12/2005  Violation de l'art. 10 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; 6 900 euros (EUR) pour dommage matériel ainsi que 7 820,29 EUR pour frais et dépens. - procédures nationale et de la Convention Articles 9 ; 10 ; 41 Opinions Séparées Le juge Costa a exprimé une opinion concordante à laquelle se rallie le juge Spielmann. Droit en Cause Loi du 29 juillet 1881 sur la presse, articles 29 et 32 Pour en savoir plus :

Jurisprudence antérieure :    Association Ekin c. France, no 39288/98, § 56, CEDH 2001-VIII ; Baskaya et Okçuoglu c. Turquie [GC], nos 23536/94 et 24408/94, § 44, CEDH 1999-IV ; Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 70 et § 78, CEDH 2004-VI ; De Haes et Gijsels c. Belgique du 24 février 1997, Recueil 1997-I, p. 236, §§ 46 et 47 ; E.K. c. Turquie, no 28496/95, §§ 79-80, 7 février 2002 ; Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France c. France (déc.), no 53430/99, 6 novembre 2001, CEDH 2001-XI ; Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 41 et § 45, CEDH 1999-I Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 23, § 49 ; Jersild c. Danemark du 23 septembre 1994, série A no 298, p. 26, § 37 ; Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, §§ 38-39, 42, 43 et 54, CEDH 2001-II ; Lehideux et Isorni c. France, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII, p. 2885, § 51, et p. 2887, § 55 ; Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103, pp. 24-25, §§ 34-37, p. 26, § 41, et p. 28, § 46 ; News Verlags GmbH & CoKG c. Autriche, no 31457/96, § 52, CEDH 2000-I ; News Verlags GmbH & CoKG c. Autriche, no 31457/96, § 66, CEDH 2000-I ; Oberschlick (no 1) c. Autriche, arrêt du 23 mai 1991, série A no 204, pp. 27-28, § 63, et p. 29, § 69 ; Oberschlick c. Autriche (no 2) du 1 juillet 1997, Recueil 1997-IV, p. 1276, § 33 ; Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 39, CEDH 2003-V ; Piermont c. France du 27 avril 1995, série A no 314, p. 26, § 76 ; Religionsgemeinschaft der Zeugen Jehovas in Österreich, Franz Aigner, Kurt Binder, Karl Kopezny and Johann Renoldner c. Autriche, no 40825/98, 5 juillet 2005 ; Riera Blume et autres c. Espagne, no 37680/97, CEDH 1999-VII ; Société Plon c. France, arrêt du 18 mai 2004, § 53 ; Stubbings et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1507, §§ 61-62 ; Sürek c. Turquie (no 1), arrêt du 8 juillet 1999, § 64 ; Thoma c. Luxembourg, arrêt du 29 mars 2001, Recueil 2001-III, § 57 et § 58 ; Von Hannover c. Allemagne, no 59320/00, Zana c. Turquie, arrêt du 25 novembre 1997, Recueil 1997-VII, pp. 2547-2548, § 51 (L’arrêt n’existe qu’en français.)

 

En février 1996, le requérant fit paraître un ouvrage intitulé « Sectes, Religions et Libertés Publiques ». Ce livre fut édité à compte d’auteur par la maison d’édition « La pensée universelle ». L’ouvrage visait à dénoncer les dérives des mouvements anti-sectaires privés, financés par les pouvoirs publics et mettait notamment en cause l’Union nationale des associations de défense de la famille et de l’individu (UNADFI), une association oeuvrant dans le domaine des pratiques des organisations sectaires.

 

L’UNADFI porta plainte contre le requérant et son éditeur pour diffamation. Le  tribunal correctionnel de Paris déclara le requérant et le directeur de publication coupables de diffamation et les condamna respectivement à l’équivalent de 3 048 et 1 524 EUR, à verser un franc à titre de dommages et intérêts à l’UNADFI ainsi qu’à la publication de la condamnation dans deux journaux. Ce jugement fut confirmé par la cour d’appel de Paris qui condamna en outre les prévenus à verser à l’UNADFI 15 000 EUR au titre des frais qu’elle avait engagés.

 

Tant en première instance qu’en appel, les juridictions estimèrent que si la dénonciation des abus susceptibles d’être commis au nom de la lutte contre le phénomène sectaire était un but légitime, les exigences de sérieux de l’enquête et de prudence dans l’expression faisaient défaut, le requérant faisant en outre preuve d’animosité personnelle à l’égard de l’UNADFI.

 

Par un arrêt du 5 octobre 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.

 

La Cour décide d’examiner les griefs du requérant sous l’angle de l’article 10 uniquement. La question qui se pose elle est de déterminer si l’ingérence dans le droit du requérant à sa liberté d’expression était nécessaire dans une société démocratique.

 

Les juridictions du fond ont reproché au requérant de n’avoir pas rapporté la véracité de ses propos. Contrairement à celles-ci, la Cour estime que les déclarations incriminées reflètent des assertions sur des questions d’intérêt public et constituent à ce titre des jugements de valeur plutôt que des déclarations de faits. Ayant rappelé que les jugements de valeur ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude, la Cour note que les nombreux documents fournis par le requérant constituent une base factuelle suffisante.

 

Les juridictions françaises ont surtout reproché au requérant son manque de prudence et de mesure dans l’expression, le tribunal estimant qu’il avait « excédé les limites autorisées dans le cadre de ce débat, en employant à l’adresse de la partie civile des termes particulièrement violents et outranciers, exclusifs de toute prudence et de mesure dans l’expression ». La Cour relève notamment que certains passages incriminés ont assurément une connotation négative. Cependant, malgré une certaine hostilité dans certains extraits litigieux et la gravité éventuellement susceptible de caractériser certains propos, la question centrale du livre porte sur les méthodes de lutte contre les organisations qualifiées de « sectes ». Or force est de reconnaître que la question des « sectes » ou « mouvements sectaires » est largement débattue dans les sociétés européennes. Elle concerne à l’évidence un problème d’intérêt général qui, de fait, appelle une interprétation étroite.

 

Les juridictions françaises ont retenu, outre l’absence de sérieux de l’enquête et de prudence dans l’expression, l’animosité personnelle du requérant à l’égard de l’UNADFI. La Cour note à cet égard qu’indépendamment de l’interprétation des passages litigieux du livre du requérant, le fait que celui-ci ait été Témoin de Jéhovah a été retenu par les juges du fond pour caractériser cette animosité. Le tribunal correctionnel a expressément considéré que la qualité de membre de l’association des témoins de Jéhovah renforçait l’animosité personnelle du requérant à l’égard de l’UNADFI, cette dernière ayant rangé l’association des Témoins de Jéhovah au nombre des sectes. Pour sa part, la cour d’appel a jugé que les passages litigieux étaient « d’autant plus outrageants » qu’ils prêtaient à l’UNADFI « précisément les défauts des sectes ».

 

Or, de telles considérations, qui visent l’association des Témoins de Jéhovah et le requérant en sa qualité de membre, ne sauraient constituer, en elles-mêmes, des motifs pertinents et suffisants pour entraîner la condamnation du requérant. De plus, la Cour rappelle que les associations s’exposent à un contrôle minutieux lorsqu’elles descendent dans l’arène du débat public et que, dès lors qu’elles sont actives dans le domaine public, elles doivent faire preuve d’un plus grand degré de tolérance à l’égard des critiques formulées par des opposants au sujet de leurs objectifs et des moyens mis en œuvre dans le débat.

 

Quant à la peine infligée au requérant, la Cour estime que si les dommages et intérêts se résumaient au « franc symbolique », l’amende, bien que relativement modérée, à laquelle s’ajoutaient le montant de la publication d’un communiqué dans deux journaux et les frais accordés à l’UNADFI, ne paraissaient pas justifiés au regard des circonstances de la cause. Violation de l’article 10.

 

NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE-{ART 10}

Compte tenu de la teneur de l’article et de son ton ironique, le lecteur moyen comprenait

La société requérante n’a pas dépassé les limites de l’acceptable en matière journalistique.

WIRTSCHAFTS-TREND ZEITSCHRIFTEN-VERLAGSGESELLSCHAFT M.B.H. (N° 3) c. AUTRICHE

13/12/2005 

Violation de l'art. 10

 

Wirtschafts-Trend Zeitschriften-Verlagsgesellschaft m.b.H. c. Autriche (no 3) Numéro de requête 15653/02 ; 15653/02 ; 66298/0166298/01 13/12/2005  Violation de l'art. 10 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention Articles 10-1 ; 10-2 ; 41 

Pour en savoir plus :

Jurisprudence antérieure :    Jerusalem c. Autriche, n° 26958/95, §§ 38-39, CEDH 2001-II ; Krone Verlag GmbH & Co. KG c. Autriche, n° 34315/96, § 37, 26 février 2002 ; News Verlags GmbH & CoKG c. Autriche, n° 31457/96, § 32, CEDH 2000-I ; Scharsach et News Verlagsgesellschaft c. Autriche, n° 39394/98, § 50, CEDH 2003-XI ; Tammer c. Estonie, n° 41205/98, § 62, CEDH 2001-I (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

 

Dans son numéro du 15 juin 1998, la société requérante publia dans  l’hebdomadaire Profilun article sur M. R., alors membre du Parlement, et sur sa compagne, Mme G. L’article était intitulé « Journal d’une fuite » et le chapeau était rédigé ainsi : « Récit. Plusieurs mythes entourent la fuite de M. R. au Brésil. Reconstitution d’une réalité banale. » Il décrivait comment le couple avait fui l’Autriche, où M. R. était soupçonné d’escroquerie qualifiée et de gestion infidèle. Après l’arrestation de M. R., Mme G. avait donné des interviews sur ces événements. L’article comparait plusieurs fois les intéressés à « Bonnie and Clyde » et il était accompagné d’une photo, figurant sur une autre page, qui montrait Mme G. aux côtés de M. R.

 

Mme G. intenta un procès à la société requérante ; elle alléguait que la comparaison avec les célèbres truands pouvait donner l’impression qu’elle était impliquée dans les infractions reprochées à M. R. En février 2000, le tribunal d’arrondissement de Wiener Neustadt condamna la société requérante à payer 1 453,46 EUR de dommages et intérêts pour diffamation ainsi que les frais exposés par Mme G. Il imposa également à la société l’obligation de publier un extrait du jugement dans son magazine.

 

Un an plus tard, le même tribunal émit une injonction permanente interdisant à la société requérante de publier la photo de Mme G. en comparant le couple qu’elle formait avec M. R. à « Bonnie and Clyde » ou en l’associant aux infractions pénales reprochées à M. R. La société requérante fut déboutée de son appel et condamnée à payer les frais encourus par Mme G. dans la procédure d’appel.

 

La société requérante alléguait que sa condamnation en vertu de la loi sur les médias et l’injonction émise à son encontre en vertu de la loi sur le copyright emportaient violation de son droit à la liberté d’expression. Elle invoquait l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention  .

 

Concernant la condamnation de la société requérante en vertu de la loi sur les médias, de l’avis de la Cour, l’article ne donnait pas au lecteur l’impression que Mme G. était impliquée dans les infractions reprochées à M. R. La Cour estime que, compte tenu de la teneur de l’article et de son ton ironique, le lecteur moyen comprenait que « Bonnie and Clyde » faisait simplement référence à un couple en fuite ; elle considère donc que la société requérante n’a pas dépassé les limites de l’acceptable en matière journalistique. La Cour est confortée dans son opinion par le fait que Mme G., en s’enfuyant avec M. R. puis en donnant des interviews à ce sujet, est descendue dans l’arène du débat public et doit donc faire preuve d’un plus grand degré de tolérance. De plus, l’article indiquait explicitement qu’aucun soupçon ne pesait sur Mme G.

 

Quant à l’injonction émise à l’encontre de la société requérante en vertu de la loi sur le copyright, la Cour note que la photo litigieuse ne révélait rien de la vie privée de Mme G. et que celle-ci s’était laissé photographier. En outre, aucune référence à « Bonnie and Clyde » n’accompagnait la photo de Mme G., puisque l’article incriminé figurait sur une autre page. Dès lors, la Cour estime que l’on ne saurait soutenir que le lecteur pourrait conclure de cet article que Mme G. était complice des crimes commis par M. R.

 

En conclusion, la Cour estime que les juridictions autrichiennes ont outrepassé leur marge d’appréciation en condamnant la société requérante en vertu de la loi sur les médias et en émettant une injonction en vertu de la loi sur le copyright, car ces mesures n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique. Violation de l’article 10.

 

 

PRIVATION DE PROPRIETE

RESPECT DES BIENS

 

 

RESPECT DES BIENS RESPECT DU DOMICILE

DISCRIMINATION EXECUTION DE L'ARRET MESURES GENERALES-{ART 46} ORIGINE NATIONALE RELIGION

 

La Cour estime que la Turquie doit instaurer, dans un délai de trois mois, une voie de recours qui garantisse, pour les violations de la Convention constatées dans l’arrêt, une réparation véritablement effective pour la requérante et en ce qui concerne toutes les requêtes similaires (environ 1 400) pendantes devant la Cour. Dans l’attente de la mise en œuvre de mesures générales, la Cour reporte l’examen de toutes ces requêtes.

 

XENIDES-ARESTIS c. TURQUIE

22/12/2005

Violation de l'art. 8

Violation de P1-1

 

Xenides-Arestis c. Turquie Numéro de requête 46347/99 22/12/2005  Exception préliminaire rejetée (victime) ; Violation de l'art. 8 ; Violation de P1-1 ; Non-lieu à examiner les art. 14+8 ou 14+P1-1 ; Obligation pour l'Etat d'instaurer un recours dans les trois mois ; Dommage matériel et préjudice moral - décision réservée ; 65 000 euros pour frais et dépens. - procédure de la Convention Articles 8 ; 14+8 ; 14+P1-1 ; 46 ; P1-1 ; 41 Opinions Séparées Le juge Türmen a exprimé une opinion dissidente

Pour en savoir plus :

Jurisprudence antérieure :    Broniowski c. Pologne [GC], n° 31443/96, § 192, CEDH 2004-V ; Chypre c. Turquie [GC], n° 25781/94, §§ 172-175, 185 et 199, CEDH 2001-IV ; Demades c. Turquie, n° 16219/90, §§ 29-37 et 43-46, 31 juillet 2003 ; Eugenia Michaelidou Developments Ltd et Michael Tymvios c. Turquie, n° 16163/90, §§ 28-31, 31 juillet 2003 ; Loizidou c. Turquie (exception préliminaires), arrêt du 23 mars 1995, série A n° 310 ; Loizidou c. Turquie (au principal) arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI ; Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos. 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII ; Stasaitis c. Lituanie, n° 47679/99, §§ 102-103, 21 mars 2002 (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)  

 

La requérante  est une ressortissante chypriote d’origine chypriote grecque , possède pour moitié une parcelle de terrain située dans la région de Ayios Memnon, à Famagouste (partie nord de Chypre), que sa mère lui a donnée. Sur ce terrain se trouvent un magasin, un appartement et trois maisons. L’intéressée occupait avec son mari et ses enfants l’une des maisons, qui constituait son domicile, le reste de la propriété étant utilisé par des membres de la famille ou loué à d’autres personnes. Elle possède aussi une partie d’un terrain comportant un verger.

 

La requérante est privée de la possibilité d’habiter sa maison ou d’utiliser sa propriété depuis août 1974, en raison de la partition de Chypre ; celle-ci dure depuis les opérations militaires menées par la Turquie dans le nord de Chypre, en juillet-août 1974.

 

Le 30 juin 2003, le « Parlement de la République turque de Chypre du Nord » adopta la « loi sur l’indemnisation relative aux biens immobiliers situés à l’intérieur des frontières de la République turque de Chypre du Nord ». Une commission chargée de traiter les demandes d’indemnisation fut instaurée en vertu de cette « loi ».

 

Le plan des Nations Unies pour la réunification de Chypre (l’Accord fondateur – Plan de règlement ou « Plan Annan »), fut soumis, le 24 avril 2004, au vote des communautés chypriote grecque et chypriote turque dans le cadre de deux référendums séparés. Le plan ayant été rejeté par les Chypriotes grecs, il ne put entrer en vigueur.

 

La requérante se plaignait d’une violation continue de ses droits au titre de l’article 8 (droit au respect du domicile) de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (protection de la propriété) en ce qu’elle est privée depuis août 1974 de son droit au respect de son domicile et de ses biens. Elle soutenait en outre que les forces militaires turques, au mépris de l’article 14 (interdiction de la discrimination), lui interdisent l’accès et l’usage ainsi que la jouissance de son domicile et de ses biens parce qu’elle est de religion orthodoxe grecque et d’origine chypriote grecque.

 

Décision de la Cour

Article 8

La Cour observe que la situation de la requérante se distingue de celle de Mme Loizidou dans l’affaire Loizidou c. Turquie (arrêt du 18 décembre 1996) en ce que Mme Xenides-Arestis vivait effectivement à Famagouste. Depuis 1974, elle est privée de l’accès, de l’usage et de la jouissance de son domicile.

 

La Cour conclut, comme elle l’a déjà fait dans l’arrêt Chypre c. Turquie (arrêt su 10 mai 2001), que le déni total du droit de Mme Xenides-Arestis, personne déplacée d’origine chypriote grecque, au respect de son domicile, situé dans la partie nord de Chypre constitue une violation continue de l’article 8.

 

Article 1 du Protocole no 1

La Cour relève que le Gouvernement turc exerce toujours un contrôle militaire global sur la partie nord de Chypre et que le rejet, par les Chypriotes grecs, du Plan Annan n’a pas pour conséquence juridique de mettre fin à la violation continue des droits des personnes déplacées.

 

La Cour estime par ailleurs que la requérante doit toujours être considérée comme la propriétaire légale de son terrain.

 

La Cour ne voit aucune raison de s’écarter des conclusions auxquelles elle est déjà parvenue dans des affaires précédentes, en particulier dans l’affaire Loizidou c. Turquie : « Du fait qu’elle se voit refuser l’accès à ses biens depuis 1974, l’intéressée a en pratique perdu toute maîtrise de ceux-ci ainsi que toute possibilité d’usage et de jouissance. Le déni continu de l’accès doit donc passer pour une ingérence dans ses droits garantis par l’article 1 du Protocole no 1 (...) Il [le gouvernement turc] n’explique pas en quoi la nécessité de reloger des réfugiés chypriotes turcs déplacés dans les années qui suivirent l’intervention turque dans l’île en 1974 peut justifier la négation totale des droits de propriété de la requérante par le refus absolu et continu de l’accès et une prétendue expropriation sans réparation. La circonstance que les droits de propriété aient été l’objet de pourparlers intercommunautaires auxquels participèrent les deux communautés de Chypre ne peut pas, elle non plus, justifier cette situation au regard de la Convention. »

 

Partant, la Cour conclut qu’il y a eu, et qu’il y a toujours, violation de l’article 1 du Protocole no 1 en raison du fait que la requérante est privée de l’accès, du contrôle, de l’usage et de la jouissance de ses biens et de toute indemnisation au titre de l’atteinte à ses droits de propriété.

 

Article 14

Conformément à l’arrêt rendu par la Grande Chambre dans l’affaire Chypre c. Turquie, la Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, les griefs tirés de l’article 14 sont en définitive les mêmes (bien qu’envisagés sous un angle différent) que ceux qui ont été examinés dans le cadre de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1. Dans la mesure où elle a déjà conclu à la violation de ces articles, la Cour ne juge pas nécessaire de rechercher s’il y a violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 et l’article 1 du Protocole no 1 du fait d’un traitement discriminatoire à l’encontre des Chypriotes grecs ne résidant pas dans la partie nord de l’île en ce qui concerne leur droit au respect de leurs biens.

 

Article 46

Les conclusions de la Cour impliquent en soi que la violation des droits de la requérante au titre de l’article 8 et de l’article 1 du Protocole no 1 tire son origine d’un vaste problème touchant un grand nombre de personnes : l’atteinte injustifiée au droit de la requérante au « respect de son domicile » et au « respect de ses biens » relève d’une politique ou d’une pratique ayant cours dans la « République turque de Chypre du Nord ». En outre, la Cour ne peut négliger le fait qu’environ 1 400 requêtes relatives au droit de propriété sont pendantes devant la Cour et qu’il s’agit essentiellement de requêtes formées par des Chypriotes grecs et dirigées contre la Turquie.

La Cour estime que la Turquie doit instaurer, dans un délai de trois mois, une voie de recours qui garantisse, pour les violations de la Convention constatées dans l’arrêt, une réparation véritablement effective pour la requérante et en ce qui concerne toutes les requêtes similaires pendantes devant la Cour, conformément aux principes de protection des droits énoncés à l’article 8 de la Convention et à l’article 1 du Protocole no 1. Cette voie de recours devrait être ouverte dans un délai de trois mois, et la réparation devrait intervenir trois mois plus tard.

 

"La Campagne

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(http://www.idhae.org/idhae-fr-page4.1.tun9.htm)

 

RESPECT DES BIENS INGERENCE-{P1-1} OBLIGATIONS POSITIVES PROPORTIONALITE

La Roumanie a manqué à son obligation positive de réagir en temps utile et avec cohérence face à la question d’intérêt général que constitue la restitution ou la vente des immeubles entrés en sa possession en vertu des décrets de nationalisation.

PADURARU c. ROUMANIE

01/12/2005

Violation de P1-1

 

Păduraru c. Roumanie (no 63252/00)   Violations de l’article 1 du Protocole no 1 Numéro de requête 63252/00   01/12/2005  Violation de P1-1 Articles 29-3 ; P1-1 

Pour en savoir plus :

Jurisprudence antérieure :    Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, §§ 105, 110, 114 et 120 in fine, CEDH 2000-I ; Blücher c. République tchèque, no 58580/00, § 57, 11 janvier 2005 ; Burdov c. Russie, no 59498/00, § 40, 7 mai 2002 ; García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I ; Guillemin c. France, arrêt du 21 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, p. 164, § 54 ; Håkansson et Sturesson c. Suède, arrêt du 21 février 1990, série A no 171-A, p. 16, § 47 ; Hentrich c. France, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 296-A, pp. 19-20, § 42 ; Ilhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 52, CEDH 2000-VII ; James et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A no 98, pp. 29-30, § 37, et p. 32, § 46 ; Jasiuniene c. Lituanie, no 41510/98, § 45, 6 mars 2003 ; Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 35, 37 et 47, 28 septembre 2004 ; Lithgow et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 102, p. 47, § 110 ; Novoseletskiy c. Ukraine, no 47148/99, § 102, 22 février 2005 ; O.B. Heller, A.S c. République tchèque (déc.), no 55631/00, 9 novembre 2004 ; Öneryildiz c. Turquie [GC], no 48939/99, § 129 et § 134, CEDH 2004-XI ; Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande du 29 octobre 1992, série A no 246-A, p. 22, § 44 ; Piven c. Ukraine, no 56849/00, § 37, 29 juin 2004 ; Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, §§ 82 et 83, CEDH 2001­VIII ; Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, § 66, 17 juin 2003 ; Sabin Popescu c. Roumanie, no 48102/99, § 80, 2 mars 2004 ; Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, § 96 et §§ 97-98, CEDH 2002-VII ; Zhovner c. Ukraine, no 56848/00, § 35, 29 juin 2004 ; Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France, no 24846/94, § 59, CEDH 1999-VII ; Zwierzynski c. Pologne, no 34049/96, § 73, CEDH 2001-VI (L’arrêt n’existe qu’en français.)

 

Le père du requérant  était propriétaire d’un immeuble situé à Bucarest composé de deux corps de bâtiment, A et B,  que l’Etat nationalisa en 1950, en application du décret no 92/1950.

En  1997, la mairie vendit aux locataires deux des appartements du corps de bâtiment B et les terrains attenants. Le   requérant saisit le tribunal de première instance de Bucarest d’une action en revendication de l’ensemble du bien. Par un jugement définitif du 10 avril 1997, le tribunal constata que la nationalisation était illégale et ordonna à l’Etat de restituer l’immeuble litigieux au requérant. Cependant, quelques jours plus tard, la mairie vendit aux anciens locataires l’un des trois appartements du corps de bâtiment A et le terrain attenant. Le tribunal de première instance de Bucarest jugea que les contrats de vente des appartements étaient valables, au motif que le requérant n’avait pas prouvé la mauvaise foi des parties aux contrats. Les recours que le requérant exerça contre ce jugement furent rejetés.

 

Le requérant alléguait que la vente de ses appartements à des tiers, qui avait été validée par une décision judiciaire et n’avait donné lieu à aucune indemnisation, avait emporté violation de l’article 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété).

 

Quant à l’appartement vendu dans le corps de bâtiment A, la Cour estime qu’il ne s’agit pas d’une simple vente de la chose d’autrui, mais que cette vente est survenue en méconnaissance flagrante d’une décision judiciaire rendue en faveur du requérant. En vendant à un tiers l’appartement qu’il aurait dû remettre au requérant, l’Etat a privé celui-ci de toute possibilité d’en recouvrer la possession, ce qui constitue une ingérence dans son droit de propriété. La Cour note, à l’instar du tribunal de première instance, qu’au moment de la vente l’Etat n’avait pas de titre sur l’appartement en question, et que l’ingérence litigieuse n’était pas prévue par la loi. Dès lors, elle conclut à la violation de l’article 1 du Protocole no 1.

 

Quant à la vente des appartements constituant le corps de bâtiment B, la Cour note qu’elle est intervenue avant que le requérant n’introduise son action en restitution. Elle estime cependant qu’il était titulaire d’un bien au sens de la Convention, consistant en un intérêt patrimonial de se voir restituer le bien en question.

 

La Cour constate que la Roumanie a manqué à son obligation positive de réagir en temps utile et avec cohérence face à la question d’intérêt général que constitue la restitution ou la vente des immeubles entrés en sa possession en vertu des décrets de nationalisation. L’incertitude générale ainsi créée s’est répercutée sur le requérant, qui s’est vu dans l’impossibilité de recouvrer l’ensemble de son bien alors qu’il disposait d’un arrêt définitif condamnant l’Etat à le lui restituer. Par conséquent, l’Etat a manqué à son obligation de reconnaître au requérant la jouissance effective de son droit de propriété garanti par l’article 1 du Protocole no 1, rompant ainsi le « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt public et les impératifs de la sauvegarde du droit de l’intéressé au respect de ses biens. violation de l’article 1 du Protocole no 1.

 


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